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lundi 7 mai 2012

François Hollande, l'«homme normal» devient président

Une image, celle d'un présidentiable, un thème, la jeunesse, un outil, la fiscalité. Celui qui était il y a peu «M. 3 %» est finalement devenu chef de l'État. Crédits photo : PHILIPPE DESMAZES/AFP


Élu président de la République, François Hollande succède à François Mitterrand dans l'imaginaire socialiste. Pourtant, il revient de loin. Personne ne pensait qu'il serait un jour le héros de la gauche.

Comme si de rien n'était, François Hollande est devenu président. Personne ne l'avait imaginé, sauf lui sans doute. À 57 ans, il succède pourtant à François Mitterrand, l'équivalent pour la gauche du général de Gaulle. Ce n'est pas rien: il entre dans l'Histoire comme le deuxième président socialiste de la Ve République. Qui pense encore aujourd'hui que Hollande est un «homme normal»? Lui sans doute. Il revendique la formule. Mais pour les autres, les regards vont définitivement changer. François Hollande ne sera plus jamais cet ancien rondouillard bonhomme, vif et blagueur, que décrivaient ses camarades socialistes avec une pointe de condescendance. C'est la clé: personne ne s'est jamais méfié de lui alors qu'au fond, il construisait patiemment son ambition. Quand a-t-il commencé à y songer? Secret à l'extrême, l'homme n'en parlait jamais. Au PS, on s'en doutait. Mais on ne lui donnait aucune chance. «Hollande président? On rêve!», s'est un jour exclamé Laurent Fabius. Hollande président? «Quelle histoire!», aurait pu dire François Mitterrand.
L'ancien président et le nouveau se ressemblent. Le même ancrage dans la France des campagnes, la Nièvre pour l'un, la Corrèze pour l'autre. Le même souci du parti, fondé par l'un, dirigé onze ans durant par l'autre. Le même goût pour les discours, quitte à ce qu'Hollande en vienne souvent à adopter les mêmes postures et intonations. La même habileté d'orfèvre pour la tactique politicienne et les manœuvres d'appareil. Mais les ressemblances s'arrêtent là. Conseiller à l'Élysée en 1981 auprès de Jacques Attali, François Hollande s'est vite détaché de la part d'ombre du chef de l'État et de son cynisme assumé. D'une certaine manière, il sera plus proche humainement de Jacques Chirac, qu'il côtoie en Corrèze. Les deux hommes partagent un même contact chaleureux et frénétique avec leurs électeurs.

«M. Petites Blagues»

L'ambition de François Hollande est souvent contrariée. François Mitterrand ne se battra jamais pour ce conseiller social-démocrate certes talentueux mais à qui il manquait on ne sait quelle aspérité. Durant son second septennat, alors qu'Hollande vient d'être élu député, le président ne le nomme pas ministre. Le prétexte? Il faut choisir entre sa compagne et lui. À Ségolène Royal le parcours ministériel. À François Hollande les jeux de courant du parti: il prend fait et cause pour Jacques Delors en vue de la présidentielle de 1995.
La défection du président de la Commission européenne le laisse orphelin. Il n'est pas un héritier. Mais il est vite repêché: Lionel Jospin, qui a repris le flambeau du PS, le nomme porte-parole du parti. À ce poste exposé, François Hollande peut se livrer à son jeu favori: commenter la vie politique. Très vite, il devient le chouchou des journalistes. Il les a étudiés de près, connaît leurs attentes et sait servir les formules qui pimentent les articles de presse. À l'Élysée, il faisait partie des «gorges profondes». Au milieu des années 1980, il fréquentait la rédaction du Matin de Paris, où il lui arrivait d'écrire des éditos. Et puis il est drôle. C'est la naissance de «M. Petites Blagues». Un sobriquet qui le poursuit. Mais son humour est aussi une arme: ridiculiser l'adversaire ou lui faire baisser la garde. Hollande, en réalité, n'est pas là pour se faire des amis.
Il sait toujours être au bon endroit au bon moment. C'est comme ça, sans crier gare, qu'il s'installe à la tête du PS en 1997. Jacques Chirac vient de dissoudre à ses dépens l'Assemblée nationale, Lionel Jospin est appelé à Matignon. Dans ce contexte de cohabitation, le nouveau premier ministre a besoin d'un parti apaisé et de quelqu'un qui ne lui fera pas d'ombre. Hollande aurait sans doute pu être ministre. Mais il pense alors que son heure viendra plus tard, quand Jospin sera président…
À la tête du PS, il mène les batailles politiques, observe le fonctionnement au sommet de l'État, conseille le premier ministre. Parfois, c'est la prudence qui prime. C'est notamment lui qui suggère à Lionel Jospin de repousser la nécessaire réforme des retraites après la présidentielle de 2002 afin de ne pas susciter de mécontentements dans l'opinion. Hollande n'aime ni les risques ni les conflits. Il va pourtant être servi à partir du 21 avril 2002.
C'est le traumatisme fondateur. Ce soir-là, son destin change de cours. Le retrait de la vie politique de Jospin le laisse seul, orphelin à nouveau, en première ligne face au paysage d'une gauche dévastée. Ses amis proches lui disent: «C'est ton tour».

L'homme de la «synthèse»

Mais il a un autre souci en tête. Pour le PS, c'est une question de survie. Il resserre les rangs entre les éternels rivaux socialistes et noie les ambitions de chacun dans le marigot de Solferino. La présidentielle de 2007, chacun y pense: Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry… Lui aussi. Mais il se fracasse sur le référendum de 2005 sur la Constitution européenne. Le tacticien perd à son propre jeu. Il défend le oui pour éliminer Fabius favorable au non. La gauche se fracture. Le PS dit oui. La France dit non. Hollande en est réduit à devenir l'homme de la «synthèse», son nouveau surnom. Le mot résume à lui seul sa méthode et son indécision à la tête du PS. Il voit passer son tour pour 2007 au profit de sa compagne d'alors, Ségolène Royal, qui surgit.
La part de drame qui se noue durant la campagne présidentielle échappe aux yeux de la plupart. Parents de quatre enfants, Hollande et Royal se sont rencontrés à l'ENA. Ils forment un couple politique singulier. Mais à ce moment-là de leur vie, ils traversent une crise. Ils se séparent. Tandis qu'elle mène campagne, lui refait sa vie avec une journaliste, Valérie Trierweiler. La présidentielle se déroule mal. François Hollande et le PS se trouvent en retrait. Après la défaite et son départ annoncé du poste de premier secrétaire, son nom s'efface peu à peu de la liste des présidentiables.
Il est seul. Son règne s'achève à Reims sur l'un des pires congrès que le PS ait jamais connu. Responsable, coupable? Ses détracteurs l'accablent de tous les maux dont souffre le parti. Le bilan de ses onze années est décevant: le PS n'est plus qu'un parti d'élus locaux. C'est un peu la SFIO. Il entame sa traversée du désert. «M. Petites Blagues» laisse la place à «M. 3%». Et encore, quand les instituts de sondage se risquent à tester l'hypothèse de sa candidature.

Régime, costumes et lunettes

Lui y croit encore un peu. Avec ce qu'il lui reste d'amis, il se prépare lentement. Il connaît son histoire politique sur le bout des doigts: «Il y a toujours une surprise dans une élection», se rassure-t-il. Celle de 2012 ne semble pourtant en réserver aucune. Nommé au FMI avec l'assentiment de Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn est promis à l'une des plus éclatantes victoires sous la Ve République. Mais Hollande n'a rien à perdre. Alors que les autres tergiversent, il se lance. D'abord en installant l'idée de sa détermination. C'est un régime qu'il s'impose et qui lui fait perdre sa rondeur. Ce sont des costumes mieux taillés qu'il endosse. Ce sont des lunettes plus modernes qui affinent son visage. C'est un ton plus grave qu'il adopte, abandonnant son humour. Il veut paraître «sérieux». En un mot présidentiable. Voilà pour l'image. Pour le fond, il choisit un thème de campagne, la jeunesse, un outil, la fiscalité. Enfin, François Hollande est identifié. Il n'est plus l'homme du parti, il n'est plus l'ombre d'un autre, il n'est plus le compagnon d'une candidate. Mais ce n'est pas suffisant.
La surprise arrive. DSK sort immédiatement et irrémédiablement de la présidentielle le 14 mai 2011 après son arrestation à New York pour agression sexuelle. Hollande est propulsé favori de cette primaire dont il ne voulait pas et qui doit désigner le champion de la gauche. Candidat de longue date, il apparaît paradoxalement comme inattendu. La victoire annoncée de DSK face à Sarkozy lui est aussitôt promise à son tour, et de la même manière. Ce n'est pas un homme que les électeurs veulent, c'est l'alternance. Ce sera donc lui. Pour reprendre son expression favorite, «rendez-vous compte!».
source : Le Figaro