INTERVIEW - Un septuagénaire a été condamné mercredi à 5 ans de prison avec sursis pour le meurtre de sa femme, atteinte d'Alzheimer, dont il s'occupait seul depuis des années. Un médecin convoqué au procès a décrit un homme «en pleine crise existentielle»: «Il aimait sa femme mais ne pouvait plus la supporter». Un incident dramatique qui met en exergue les difficultés rencontrées par les «aidants», ces proches qui s'occupent au quotidien des malades, explique Judith Mollard, psychologue pour l'association France Alzheimer.
Judith MOLLARD. - Alzheimer est une maladie qui dure longtemps, une dizaine d'années en moyenne, et qui est évolutive: il faut en permanence s'adapter à de nouveaux besoins, de nouveaux soins. Le malade va devoir être aidé pour des tâches du quotidien de plus en plus simples: s'habiller, faire sa toilette, préparer ses repas, manger. Malgré la bonne volonté de l'aidant, il y a un fort risque d'épuisement physique et psychologique si le recours à une aide extérieure n'est pas anticipé. D'autant que le malade n'a pas conscience de l'étendue de sa maladie et de ses besoins: il n'est donc pas rare qu'il résiste aux soins. Il peut même devenir agressif car il ne réalise pas que son entourage ne cherche qu'à l'aider. La relation se détériore à mesure que la lourdeur des tâches s'accroît. En outre, Alzheimer est une maladie mal perçue, qui fait peur, ce qui favorise le risque pour la famille de se replier sur elle-même et de s'isoler progressivement, par honte.
Les drames comme celui qui vient d'être jugé sont-ils fréquents?
Ils restent rares, heureusement. Mais beaucoup d'aidants disent avoir rencontré des situations très difficiles, au point de tomber malades eux-mêmes, de s'effondrer, voire de commettre des maltraitances sur le malade. Il arrive aussi que l'aidant retourne sa détresse contre lui-même. C'est dramatique.
Quels signes doivent alerter sur l'état de santé général de l'aidant?
Quand l'aidant ne s'octroie plus de temps pour lui, au point de négliger sa santé -il ne consulte plus son médecin généraliste-, son alimentation, son sommeil, ses loisirs. Ou encore des signes similaires à la dépression: manque d'allant, d'énergie, d'envie. À mesure que la maladie progresse, l'aidant tend à oublier ses propres besoins vitaux pour répondre à ceux du malade.
Que recommandez-vous aux aidants pour limiter les difficultés?
Tout d'abord, il ne faut pas rester seul. Nous conseillons de contacter des professionnels à travers les associations locales France Alzheimer, les Maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer (MAIA) ou les centres locaux d'information et de coordination gérontologique (Clic) dès l'annonce du diagnostic. Même si l'état du malade n'est pas encore très dégradé, cela leur permettra de savoir vers qui se tourner quand le besoin commencera à se faire sentir. Car la maladie entraîne vite dans une spirale infernale: dès lors que les difficultés commencent, on n'a plus l'énergie pour entamer les démarches.
Quels services proposez-vous aux aidants?
Les associations France Alzheimer leur proposent des formations gratuites, car tout le monde ne naît pas avec l'âme d'un infirmier. Il est d'autant plus difficile de s'occuper d'un malade atteint d'Alzheimer que celui-ci n'est pas en mesure d'exprimer ce dont il a besoin. Et que parfois, on en vient à s'occuper d'une personne avec laquelle on n'avait déjà pas d'excellentes relations - ça peut être le cas d'un enfant devant prendre en charge son parent malade. Nous organisons également des activités de groupe conviviales, pour sortir l'aidant de son isolement. Il s'agit de sorties, de groupes de paroles, de vacances auxquelles il est possible de participer avec le malade. Même réduite, il est essentiel de conserver une activité sociale pour discuter et rire avec d'autres personnes.
source : Santé Le Figaro