A 30 ans, Fernando Alonso est considéré comme le plus complet des pilotes de F1. Reste que depuis son doublé 2005-2006 avec Renault, il chasse une troisième couronne qui le fuit. Après McLaren et un second passage chez Renault, il évolue depuis l’an dernier avec Ferrari, bien décidé à redonner du lustre à la Scuderia comme à retrouver le statut de N°1 mondial.
Sebastian Vettel peut arithmétiquement décrocher son deuxième titre à Singapour. Quel regard portez-vous sur sa saison ?Fernando Alonso : C’est toujours plus simple avec une monoplace dominatrice. C’était d’ailleurs déjà le cas l’an dernier, mais Red Bull avait parfois rencontré des problèmes et nous avions pu leur tenir tête. Ce n’est pas le cas cette année. Ils ont progressé. Sebastian pilote parfaitement, commet très peu d’erreurs au point d’avoir bouclé toutes les courses, et livre de bonnes prestations même quand les conditions ne sont pas évidentes. Ils sont à leur place. C’est mérité.
Ce qui ne vous empêche pas de guetter impatiemment ce GP de Singapour…
Après le Grand Prix d’Espagne, Singapour est probablement ma course favorite. Il y a quelque chose de fort pour moi sur ce circuit. J’aime courir la nuit, le tracé correspond parfaitement à mon style de pilotage, et a priori à ma Ferrari puisque j’ai été compétitif cette saison à Monaco, dont les caractéristiques sont proches. Sur trois courses à Singapour, je compte deux victoires, en 2008 et 2010, et une troisième place en 2009 qui signifie également beaucoup, puisque c’est mon seul podium au volant d’une Renault compliquée cette année-là.
L’édition 2008 reste toutefois sujette à caution, puisque Flavio Briatore et Pat Symonds ont été sanctionnés pour avoir demandé à votre coéquipier de s’accidenter volontairement pour favoriser votre stratégie de course. Une victoire pas comme les autres…
Je sais ce que les gens pensent, mais aussi étrange que cela puisse paraître, cette victoire compte autant que les autres à mes yeux. Tout simplement parce que je me suis donné en piste ce jour-là, et que sur le moment, à l’arrivée, c’est comme cela que je l’ai vécu.
Vous aviez également été lié, un an auparavant, à l’affaire d’espionnage dans laquelle McLaren a été lourdement condamnée. Comprenez-vous que le public puisse voir en vous un pilote de grand talent, mais prêt à tout pour s’imposer, mauvais perdant et peu partageur avec son coéquipier ?
C’est la F1, un sport global et hyper médiatisé. La caricature est facile. C’est la presse, et la presse britannique en particulier, qui a créé cette image de moi en 2007 lorsque j’étais chez McLaren. Je m’entendais bien avec Hamilton, mais les médias ont contaminé notre relation, et le management de l’écurie n’a rien arrangé. Je suis dans ma onzième saison, et si vous occultez 2007, il n’y a pas un coéquipier, un ingénieur ou un mécanicien qui ne louera pas mon professionnalisme et ma loyauté. Je suis un farouche compétiteur, mais ça s’arrête là. J’ai trente ans, de l’expérience et une certaine maturité. Je n’ai pas de problème avec les gens, le paddock connait ma valeur et mes valeurs. Je n’ai jamais manqué d’offres sur le marché…
Pour le coup, votre coéquipier, Felipe Massa, ne vous pose guère de problèmes chez Ferrari. Que lui arrive-t-il ?
J’ai une très bonne relation avec Felipe, nous sommes peut-être même les coéquipiers les plus proches du plateau. Avec une voiture difficile comme la notre, ce n’est pas simple d’obtenir un bon résultat. Nous avons deux styles de pilotage totalement opposés. Je suis beaucoup plus agressif avec l’auto, je freine tard, fort, et je la jette dans le virage. Felipe est plus «poli», et sur certains circuits, ça ne marche pas et il souffre beaucoup plus que moi pour exploiter les pneumatiques.
Que vous manque-t-il chez Ferrari pour pouvoir réellement viser le titre ?
Depuis deux ans, nous accusons un déficit de performance d’entrée. Maintenant, si vous prenez en compte une règlementation technique assez floue, vous relèverez sur ces deux saisons des nouveautés radicales qui ont perturbé la hiérarchie, tels le double-diffuseur, le F-Duct ou encore l’utilisation des gaz d’échappement à des fins aérodynamiques. Certains ont fait mieux que nous. Mais nous ne sommes pas largués pour autant.
Ferrari ne vous propose-t-elle pas des monoplaces trop conservatrices ?
C’est vrai que notre approche pour la saison 2012, le message du président Montezemolo comme de Stefano Domenicali, c’est la volonté d’être très innovants, très agressifs, de ne pas avoir peur de proposer quelque chose de différent. Nous seront créatifs l’an prochain. Pour récupérer les six ou sept dixièmes qui nous manquent au tour sur Red Bull, il nous faut repartir de zéro sur une nouvelle voiture, un nouveau concept.
A titre personnel, comment pouvez-vous aider l’équipe ?
Toutes les sensations qu’un pilote peut exprimer sont primordiales pour les ingénieurs. Il faut être précis, structurer le feed-back qu’on leur propose. Il s’agit de sensations dans chaque secteur de chacun des circuits, dans toutes les situations possibles, bref de toutes les séquences et configurations qui peuvent nous permettre de progresser, ou de dégager des idées, des axes de réflexion techniques pour la saison prochaine.
Vous ne doutez pas ?
Ferrari est le plus grand team de l’histoire. J’y ai découvert un énorme potentiel et tous les moyens nécessaires à la victoire. Et je sais que notre heure va venir, ou plutôt revenir. Ce groupe a le talent et la détermination. La Scuderia était encore la référence en 2008, j’étais encore dans la course au titre lors du dernier grand prix la saison dernière, le tableau est moins noir qu’il n’y parait. Il faut juste concevoir et développer la meilleure monoplace possible, et tout devient facile. Une voiture pour la gagne, ce sont tout de suite de meilleures stratégies, des mécaniciens qui ont moins de pression lors des arrêts, une réelle capacité à doubler en piste sans jamais l’être soi-même. Mais sans une excellente auto, on se retrouve très vite exposé à un mauvais scénario de course.
N’empêche que depuis votre doublé mondial (en 2005-2006), vous chassez une troisième couronne depuis maintenant cinq ans. Avez-vous des regrets ?
Non. C’est ce parcours qui fait de moi un bien meilleur pilote que par le passé, parce qu’il m’a permis, même après deux titres, de continuer à progresser et à grandir. Chez McLaren, en 2007, j’ai beaucoup appris, découvert une nouvelle philosophie de la course, très différente de ce que j’avais connu chez Renault, comme de ce que je vis d’ailleurs chez Ferrari aujourd'hui. Puis de retour avec Renault, j’ai traversé deux années compliquées, mais ce fut une très bonne expérience. Au volant d’une voiture difficile, je suis redescendu en milieu du peloton, et c’était nouveau pour moi vu que je n’avais connu que les dernières places avec Minardi, ou les avant-postes avec Renault et McLaren. J’ai alors progressé sur la bagarre, les dépassements, l’observation de l’adversaire. Sur ces cinq saisons, je me suis tout de même retrouvé deux fois en position de remporter le titre : j’échoue en 2007 pour un point alors que nous en avions lâchés tout au long de la saison vu que nous n’étions pas bien managés. Et l’an dernier, il me manque quatre points, perdus bien avant la course décisive.
Est-ce rageant ?
Sur le moment peut-être, mais pas au-delà. Je suis honoré d’avoir eu le privilège de remporter deux titres mondiaux. En décrocher un troisième avec Ferrari, quelques années plus tard, alors que je pense être au sommet de mon pilotage, ce serait quelque chose de très spécial…
Propos recueillis par Cédric Voisard
source:sport24.fr